carnet AFR / SPEAP – intervention dans le cadre des journées thématiques de l'AFR, 20 et 21 octobre 2011

Quelles sont les écritures susceptibles de porter à leur terme les effets heuristiques de telle ou telle posture investigatrice ? Quel récit se trouve être en mesure, chaque fois, de faire passer l’urgence, l’émotion, l’événement en acte ou bien encore l’équivocité du fait social, son caractère antinomique, sa touffeur multidimensionnelle, son infinie complexité ? Quel récit est susceptible de dire l’implication, la provocation du sujet par l’objet (ou de celui-ci par l’autre), l’affrontement, le malentendu, la blessure ? Quel récit, enfin, s’avère être capable de mouvoir le regard de celui qui questionne et, par contrecoup, de celui qui déchiffre ce questionnement ?
Alain MEDAM, Objet, sujet et écriture autour et à propos des phénomènes sociaux. In Terrains vagues, la ville en question. N°3, 1998.

 

Une expérimentation des arts politiques pour une expérience d’habitat pour usagers de drogues

Pourquoi un hébergement pour des usagers de drogue nous concerne-t-il ?

Quand Lionel Sayag, de l’association Proses (Prévention des risques liés aux usages de drogues), est venu nous voir, dans notre « salle de classe », à Sciences Po Ecole des Arts Politiques (SPEAP), il avait en tête un projet de construction d’hébergement temporaire pour usagers de drogue « actifs », un allié, l’architecte Julien Beller, une pratique aguerrie de la réduction des risques, et une foule de questions concernant la réalisation de son idée. C’est à une clarification de ces questions que nous nous sommes d’abord attelés ensemble : quelles modalités d’accompagnement ? quel terrain ? quel groupe d’usagers à qui l’habitat sera destiné ? Comment arriver à une première esquisse des plans d’architecture et une analyse de la faisabilité du projet ?

Nous, c’est un groupe de quatre personnes qui ont choisi de travailler sur ce projet : une sociologue (Claire Duport), un cartographe (Axel Meunier), un artiste (Yves Mettler) et une juriste (Géraldine Tronca). Nous ne sommes pas des spécialistes de la réduction des risques, de l’architecture ou de la coordination de projet ; pas un bureau d’études. Mais, à SPEAP, nous cherchons à « composer un monde commun » ; composer avec des représentations du monde –que nous apportent les artistes- et de l’enquête scientifique, pour résoudre des problèmes, les élever en causes publiques.
En nous appropriant les questions que se posait Lionel, d’autres éléments sont bien vite apparus, notamment les cadres dans lesquels s’inscrit le changement que Lionel et l’association Proses souhaitent : le contexte local (le territoire de Saint-Denis), le contexte social (la scène ouverte), politique (climat tendu entre la ville et le gouvernement), juridique (le champ d’action des CAARUDs -Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction de risques pour Usagers de Drogues), le cadre médico-social de prise en charge de l’usage de drogues etc. Situation particulière. Dès qu’on s’y intéresse, des controverses apparaissent entre des intérêts divergents, des acteurs dans des rapports de pouvoir, des pratiques et des vécus qui fonctionnent plus ou moins bien ensemble. Le changement que cherche Proses est aussi une modification dans cet équilibre fragile et toujours provisoire ; mener une expérience d’hébergement pour les usagers de drogue implique non seulement tenir compte du contexte, mais aussi de le mettre à l’épreuve, de le transformer. Les cadres, qui construisent autant de représentations du problème que Lionel pose, qui tiennent les acteurs autant qu’ils sont tenus par eux, font partie de l’action. Et construire de nouvelles représentations du problème, c’est ça la recherche spécifique que nous menons.

Ainsi, nous avons travaillé à reformuler la commande vers une série d’enquêtes-oeuvres sur les traces de la problématique de la visibilité : que verra-t-on de ce projet dans l’espace public, géographique et politique, de la ville ? Comment travailler sur les formes de mise en visibilité qui traversent les pratiques de la réduction des risques et de transformation urbaine ?


Enquêtes/Composition

Nous avons alors procédé à une cartographie des terrains d’intérêt pour le projet d’hébergement à Saint-Denis, à une recherche sur les formes juridiques adaptées/à adapter par rapport à l’échelle du projet, à une collection d’autres projets d’architecture, à une enquête sur des pratiques qui tendent à associer de façon expérimentale des communautés et l’espace urbain, à recenser et rencontrer des acteurs de terrain. Nous avons apporté de l’extérieur et, en essayant de trouver une prise sur le projet à partir des intérêts généraux avec lesquels nous sommes arrivés (auto-construction/habitat modulaire, hébergement social des «  drogués » et réduction des risques, articulation entre pratiques expertes et engagements militants, plus généralement habiter doit-il se conjuguer au pluriel : des « habiter-s » différents?), nous avons été amenés à explorer des questions sous-tendues par la démarche de Lionel, à chercher des manières transversales de les représenter qui pourraient être aussi des outils pour d’autres.

La progression que nous avons élaborée au cours de cette année de travail sur ce projet nous a menée à relier la question de l’hébergement de publics spécifiques à celle de l’habitat en général, rejoignant ainsi notre préoccupation pour le contexte local et sa modification : elle est plus qu’une opération de généralisation. Ou plutôt cette généralisation elle-même pose problème. Selon nous, l’opération de généralisation (ou plutôt de montée en généralité) d’une expérience singulière, ne peut être menée à bien en s’affranchissant des non-humains -contraintes, idéologies, lois, rapports de pouvoir, financement, etc.-, mais en trouvant des formes possibles à la composition d’un monde commun, toujours à venir.
C’est cette progression que restitue le « carnet de notes », qui n’est pas notre carnet de note comme autant de récits de notre travail ou de nos réflexions, mais votre carnet de note.

Carnet de notes, mode d’emploi

Ce que nous vous suggérons à partir de cet objet, c’est une expérience d’écriture. Une des compétences que vous avez (qu’ont les participants d’un événement tel qu’un colloque, des rencontres professionnelles ou tout moment de travail et de réflexion collective), c’est le recours à la prise de notes. Elle est (en général) totalement libre. Elle est une des possibilités de créer un espace de mémoire, de critique, et de pensée.

Dans ce carnet de vos notes, nous avons inclus des données rapportées de nos enquêtes et des réflexions élaborées au cours de cette année de travail sur le projet d’habitat de Proses : images, textes, cartographies, idées, rebonds…
Et des vides, des blancs, des bulles, des lignes de fuite, comme autant d’invitations à explorer autant que construire votre point de vue. En prenant des notes.

Télécharger le carnet ici

site de l'Agence Française de Réduction des risques

site du master d'expérimentation art et politique (speap)