Une exposition de Kim Sop Boninsegni, janvier 2003, galerie Stepzcinsky-Blancpain, Genève: Family Tree.

Enchâssé.

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par Yves Mettler

Rien ne saurait toucher à la contemplation des monumentales oeuvres de Balthazar Burkhardt. Profonds paysages d'un état primitif, le spectateur ne peut que s'y perdre et sentir un état ancien manifester ses forces les plus élémentaires. Alors que l'oeil est attiré vers les ombres, un bourdonnement affranchit la perception définitivement du monde actuel. Encore imperceptible il y a quelques secondes, le son apparaît et la glace se rompt: il se passe quelque chose en plus, ailleurs, en-dessous. En-bas. Tectonique ambivalente entre processus organique, situation filiale et une position underground. Un tremblement passe dans le titre d'une exposition sous-jacente.

Un générique, une projection, un album et une plante: l'en-dessous s'émiette sous le regard, l'unité servie par le son disloquée par une composition hétéroclite de formes. Le propos reste insaisissable à qui cherche ici la direction d'une installation comme objet, le vecteur central étant déjà passé, vécu. Ce qui reste ici sont des indices, tous affectés par le passage d'un orage qui n'a pas été remarqué – un orage peut-être non moins primitif que l'état d'en-dessus et condamné à l'amnésie.
Dans une télévision se déroule le générique d'un film sans nom, la liste semble infinie, peu importe d'ailleurs si c'est une boucle ou non: les noms se suivent, une parenté entre eux évoque n'importe quelle autre liste possible. Passer, c'est tout. La projection, celle de la famille, toujours dans un mouvement de respiration, appelée, révoquée, échappe: La boucle alors se resserre, implose. La perspective déboussolée par tant d'indifférence. L'album, souvenirs d'un voyage nulle part, pures constructions sous le ciel bleu aplaties sur les pages lourdes et crèmes d'un livre qui ne semble pas vouloir s'arrêter. Paysages sans expressions d'une géographie à l'ambition revue à la baisse. Reste une plante, sur la table, artificiellement éclairée par un néon qui ne saura l’alimenter. Sa présence contre-nature la fait mutante, organisme transformé, indice de vie pure, sans histoire. Dans la pénombre, elle finit par confondre les paysages dont elle semble provenir et être l’unique survivante ...
C’est donc au vocabulaire de la météorologie que le spectateur se retrouve exposé, ayant à disposition des appareils de captation n’exprimant que des valeurs qui bien que réelles, sont parfaitement génériques. Ensemble sans expression laissé à lui-même. C’est comme s’il se passait toujours déjà quelque chose et que d’en donner un compte-rendu ne s’inscrive de fait dans le déjà-vu, déjà passé. La fragilité de l’aperception semble avoir trouvé là un abri et c’est au prix d’un retrait que celui qui vient voir peut sentir et emporter quelque chose. Lorsque le spectateur se penche sur la composition de la cave, le moment d’expression est déjà passé, s’est déjà joué, la modification a eu lieu, l’orage est passé.

Family Tree se sert des motifs de la nature, du paysage et de la génération pour en expérimenter les forces « imperceptibles, impersonnelles et indiscernables», se limitant à la tentative de tracer les contours où celles-ci circulent avant d’être condensées dans une forme d’expression majeure : La nature est soustraite à son devoir évolutioniste pour être pur environnement, lieu occupé par la vie ; Le paysage est moins portrait de l’ordre en place que lieu indifférencié de l’expérience ; finalement la famille échappe à la mise au point comme structure pour devenir figure génératrice de ruptures et de travers.
Family Tree prend en charge son lieu d’émergence et se fonde sur lui. Prenant appui sur les thèmes développés par une imagerie classique, elle rebondit pour en faire des vecteurs d’émancipation – La nature se trouve emportée vers l’artifice, le paysage vers l’expérience, la famille vers le désir... Ainsi l’image fixée se trouve prise quelque part dans un champ générique : Le caractère romantique de l’expression est dévoilé, faisant place à un champ où la matière n’est plus le lieu de réalisation d’une confrontation et donc la représentation d’une idée dans une surface à occuper.
Lorsque l’on remonte vers la surface, le son toujours dans l’oreille, les images en sont peut-être changée, infectées par les champs sous-jacents. Family tree agit comme double enchâssement, d’abord involution à l’intérieur d’une imagerie fixe, elle libère les champs génériques d’expériences de leur représentation, fait proposition relative. En retour son déploiement anhistorique peut délier les images comme champs abstraits de vie.